(texte un peu long mais qui donne une excellente description d'un moulin à
papier au XVIII e siécle) Inondation des moulins Penicaud de la veuve
Graterolle (1783)
Constat des dégâts d'inondation des moulins Penicaud survenus
lors des orages des 6 et 7 mars 1783
Extraits des registres de Maître Rouhet, notaire à Saint Junien 14 avril 1783 (Arch.dép.Haute-Vienne 4E33 68(2)) |
Source : Arch.dép.Haute-Vienne
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(Orthographe partiellement adaptée)
Aujourd'hui, quatorze avril mil sept cent quatre vingt trois, à huit heures du matin en la ville de Saint Junien, en l'étude et par devant nous Jean Baptiste ROUHET, notaire royal et tabellion, garde notes au dit Saint Junien et en présence des témoins soussignés, a comparu Demoiselle Suzanne ROCHON veuve de sieur Pierre GRATEROLLE de MONTVAILLER à son décès, fabriquant de papier au dit Saint Junien, y demeurant paroisse Notre Dame du Moustier, laquelle a déposé qu'il dépend de la succession du dit Pierre GRATEROLLE, son mari, dont elle est usufruitière, des moulins à papier appelés PENICAUD situés sur la rivière de Glane en la susdite paroisse Notre Dame du Moustier du dit Saint Junien et que par l'orage et l'inondation le jeudi cinq et six février du mois de mars dernier, l'eau aurait causé un dommage et une perte des plus considérables aux dits moulins de sorte que outre qu'il est impossible à l'exposante de pouvoir réparer les dits moulins et de déclarer la perte qu'elle souffre du dit événement, encore les mineurs à qui appartiennent les dits moulins seront dans le cas de la recherche à vouloir la rendre responsable de la dégradation qui a été commise aux dits moulins, que cette force majeure qu'elle ne pouvait prévoir ni traiter, si elle ne faisait constater l'état et la situation des dits moulins par un procès verbal d'un rapport d'experts sur les pertes, à cette fin elle requière notre transport au dits moulins pour le rapport des experts qu'elle offre d'y faire trouver, y dresser le susdit procès-verbal dont elle acquis acte et a signé Susanne Rochon vu (veuve) degraterolle |
Source : Arch.dép.Haute-Vienne |
Duquel exposé et requis, nous notaires susdit, avons concédé acte et y faisant droit, nous sommes à l'instant transportés,
en compagnie de la dite demoiselle ROCHON veuve GRATEROLLE et nos témoins qui seront dénommés à la clôture des présentes dans
les dits moulins à papier appelés PENICAUD, dépendant de la succession du dit feu GRATEROLLE, situés sur la rivière de Glane
paroisse de Notre Dame du Moustier du dit St Junien où était la dite demoiselle ROCHON, nous a fait présenté pour experts les
personnes de Pierre La VIGNE maître entrepreneur des ponts et chaussées et autres ouvrages du Roi …..la grande Route, demeurant
ordinairement en la ville de Saint Léonard et François BAYREAU, maître charpentier travaillant dans les fabriques, demeurant
au village de MONTEIL, paroisse de Saint Pierre de la ville de Saint Junien, lesquels auront accepté leurs commissions en
conséquence après que nous avons pris et reçu leur serment en cas requis, les dits experts et de ce qu'ils ont promis moyennant
leur dit serment de bien et fidèlement nous observer l'état des choses, avons vaqué au procès-verbal requis ainsi de la manière
qui suit :
Premièrement, étant entrés dans la première cour et sortis sur le bord de la rivière, les dits experts nous ont fait observer que la chaussée, ou l'écluse des dits moulins, a été emportée en entier et a besoin d'être refaite à neuf de la longueur de quatre vingt pieds et vingt quatre de largeur, que le bassin ou lavoir qui était à coté de la dite écluse, monté en carrelage de pierres taillées qui étaient ouvragées, liées et cramponnées en fer, a été emporté dans la circonférence de vingt quatre pieds en carré sur cinq de profondeur ainsi qu'un éperon monté en pierres de taille qui soutenait la dite écluse et un anguillard 1 à trois paniers de la longueur de quarante pieds sur huit de largeur pour le rétablissement desquels objets dans leur premier état, les dits experts estiment qu'il doit en coûter au moins sept milles livres :7000 livres 1 Vivier à anguilles ou réservoir pour les poissonniers (Note F. Bernard) que le conduit ou chemin, prenant l'eau de la dite écluse pour la porter dans l'emplacement du premier moulin afin de faire tourner les roues, a été comblé, soit par des sables et pierres et autre décombres qui ont été entraînés sur la hauteur de huit pieds et les murs de soutènement de droit et gauche du dit chemin, décharnés et crevassés en plusieurs endroits, pour la quelle réparation y compris le ramier à faire, afin d'arrêter l'eau pour nettoyer le dit chemin, les dits experts estiment que doit en coûter la somme de mille livres :1000 livres Que les murs du conduit entre le premier moulin et le second ont aussi été décharnés et ravinés de droite et de gauche, et le dit chemin ensablé de la hauteur de deux pieds sur huit de largeur et vingt toises de longueur, et le petit pont en pierre traversant le dit chemin pour entrer dans la chambre le cuve du dit premier moulin également décharné pour tout quoi nettoyer et réparer les dits experts estiment qu'il doit en coûter quatre cents livres :400 livres Que les murs de soutènement entre l'empalement des moulins et la rivière ont été emportés de la longueur de cinquante toises sur huit pieds de largeur et deux de hauteur,le tout dans l'eau et emporté la terre du petit jardin qui était entre le dit empalement et la rivière de la largeur de cinq toises et quinze de longueur, pour le rétablissement de quoi les dits experts estiment qu'il doit en coûter la somme de quinze cent livres :1500 livres Que les murs de soutènement entre l'empalement des moulins et la rivière ont été emportés de la longueur de cinquante toises sur huit pieds de largeur et deux de hauteur,le tout dans l'eau et emporté la terre du petit jardin qui était entre le dit empalement et la rivière de la largeur de cinq toises et quinze de longueur, pour le rétablissement de quoi les dits experts estiment qu'il doit en coûter la somme de quinze cent livres :1500 livres Que l'arbre à sept piles du premier moulin, appelé le grand Moulin, a été coupé dans le milieu et les piles ensablées et l'ouvrage qui était dans les dites piles ainsi que dans les caisses qui contenaient la quantité de dix journées à faire de quarré fin à sept rames et demi par jour , le tout emporté par l'eau,même tout le dedans du dit moulin, ensablé de la hauteur de deux pieds, la quelle perte pour le rétablissement du dit arbre, les dits experts estiment la somme de douze cent livres : 1200 livres Qu'a été emportée une porte donnant du coté de la rivière que les dits experts estiment à la somme de vingt livres : 20 livres De là, dans la chambre de cuve, l'on nous a fait observer que le sable qui y existe encore dans tout le contenu dicelle et celui qui a été enlevé montait à la hauteur d'un pied ; que l'eau a emporté tous les outils qui servaient aux compagnons de la cuve et qui consistaient en une paire de formes avec une paire de fleutres (feutres) pour quarré fin, deux tréapans (plateau de bois où sont empilées les feuilles pressées) pour la presse et celui sur la cuve, les mises la barre de la presse qui était ferrée d'une barre de fer et tout l'ouvrage qui était dans la cuve forment deux rames de quarré fin tout quoi les dix experts estiment la.. quatre cent cinquante livres : 450 livres Plus la dite demoiselle ROCHON a déclaré qu'il y avait dans la dite chambre de cuve quatre vingt rames de porces quarré fin et deux quintaux de chiffons estimés par les dits experts à la somme de quatre cents cinquante livres : 450 livres Et dans la salle, l'on nous a fait observer que, ayant creusé les sols qui supportaient la presse pour presser le papier et l'apprêter, elles sont tombées et ont entraîné sous leur ruine la dite presse qui consistait en une sole de dix pieds de long vingt six pouces de largeur et vingt quatre d'épaisseur, une croise de même grandeur avec deux jambes de force de douze pieds de long sur un pied en quarré et deux barres de la dite presse, tout quoy et hors d'état de servir et les experts estiment être une perte pour l'exposante d'une somme de quatre cents livres : 400 livres |
Source : CGC
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Et dans le second moulin, l'on nous a fait observer que force de l'eau a brisé un grand bac de bois
propre à laver le chiffon dont pour le remplacer par un autre, les dits experts estiment qu'il en doit coûter quarante
huit livres : 48 livres Plus, que l'empalement du dit moulin a aussi été cassé et brisé et que l'arbre et la roue du dit moulin ont été poussés avec la
force de l'eau et sortis de leur place ordinaire d'un pied de distance ainsi que les piles que le parvier
en bois de la roue tout
comme les archenaux ou abreuvoirs en bois ont aussi été brisés aussi bien que six clefs de battants et un autre bac en bois ; qu'il
a été emporté une porte, sortant sur le mur du coté de la rivière, que les murs de droite et gauche de l'empalement ont été décharnés
sous la roue et le dit empalement entièrement sablé sur la hauteur de quatre pieds tout le long de la roue et que le pavé devant le dit
empalement a été les deux tiers enterrés et entraînés ; que la caisse à ouvrage en carrelage a été creusée et ouverte dans
l'épaisseur du mur donnant du coté de la rivière et tout l'ouvrage qui était dedans emporté ; que l'arcade du dit empalement
a été également emportée par le bas de la hauteur de six pieds sur huit de largeur que le dit moulin ainsi que les piles et les
caisses sont remplies de sable et que par conséquent les matières qui y étaient ont été emportées par l'eau lesquelles matières
la dite demoiselle ROCHON a déclaré consister en six journées de travail chaque journée tirant sept rames et demi le tout en papier
fin ; que la fenêtre du milieu, montée en carrelage, a été décharnée et le coin du mur aussi en pierre de taille qui soutient la voûte
du dit moulin a été percé par le bas ; que la porte du dit moulin a été emportée aussi bien que celle d'une croisée communiquant à une
ancienne chambre de cuve et une partie de la couverture du dit moulin dehors, tout quoi les dits experts estiment
six cents cinquante livres : 650 livres
De là, dans le moulin bas, l'on nous a fait observer que la couverture et la charpente ainsi que les murs de celui-ci ont été écrasés et détruits aux trois quarts et que ce qui en reste a besoin d'être fini de démolir et que le tout rétabli à neuf, qu'il parait par ce qui reste que la couverture et la charpente auraient été faites et placées à neuf depuis peu d'années et que la porte du dit moulin ainsi qu'une croisée de trois pieds de hauteur et une caisse à mettre la matière était montées en carrelage de pierres pour le rétablissement du quel bâtiment les dits experts estiment qu'il doit en coûter la somme de quinze cent livres : 1500 livres |
Source : CGC
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Plus la dite demoiselle ROCHON nous a déclaré que….y avoir dans le dit
bâtiment six piles de bois creusés avec douze clefs, vingt quatre maillets et quarante queues de maillets le tout ferré et
prêt à poser qui ont été emportés par le torrent de l'eau, lesquels objets les dits experts estiment en total à la somme
de cinq cents livres : 500 livres
De là, étant entré dans la basse chambre de cuve qui est voûtée, l'on nous a fait observer que l'eau a fait un creux dans le pavé de la dite chambre entre les deux portes de deux toises en quarré de la profondeur de trois pieds que le derompoir qui était placé dans la dite chambre de cuve a été démonté et brisé et qu'il ni en reste que quelques lambeaux et vestiges ; plus la dite demoiselle ROCHON a déclaré qu'il y aurait dans la ditte chambre de cuve, deux mouillées de chiffon finpesant six mille livres, prêtes à travailler et mettre dans les piles pour être battues plus vingt quatre pièces de bois pour des clefs, prêtes à travailler avec douze courbes neuves aussi prêtes à travailler et quatre vielles plus une chaudière ou autrement pistolet de cuivre rouge pesant vingt livres et six bassins aussi de cuivre rouge servant à porter la matière, pesant ensemble soixante douze livres , tout quoi a été emporté par le torrent et la force de l'eau ainsi qu'une porte. Sortant au dehors pour aller à l'autre bâtiment tout lesquels objets les dits experts estiment être de la valeur de la somme de quatorze cent soixante livres : 1460 livres |
Source : CGC
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De là, avons été conduits dans la cuisine, qui est au rez-de-chaussée de la maison du maître, l'on nous a fait
observer que l'eau qui y est rentrée y a laissé un dépôt de sable qui couvre tout le pavé de la dite cuisine de la
hauteurs de six pouces qu'on a besoin d'enlever et nettoyer ; de là, dans la petite cour, avant d'entrer au jardin,
la dite demoiselle ROCHON a déclaré que l'eau par son débordement et rapidité a entraîné une pièce de bois de six pieds
de long et vingt pouces de quarrissage, qu'une partie du dit jardin, à coté de la première porte d'entrée, a été détruit
et a besoin d'être remonté de la contenance d'une toise, que le coin du mur du bout du jardin qui était monté en pierre
de taille et donnant sur la rivière a été emporté de la longueur de deux toises sur autant de hauteur pour la réparation
desquels objets les dits experts estiment qu'il doit en coûter la somme de trente livres : 30 livres De là, la grange qui est au bout du dit jardin, la dite demoiselle ROCHON nous a déclaré que l'eau a entraîné une quantité de cinq charretées de charbon avec la quantité de huit cents levées de bois pour les arbres, cinquante châssis pour les pèles, cent coins de maillet et une ébauche de presse qui était dans le jardin, tout quoy les dits experts estiment la somme de deux cents vingt livres : 220 livres De là, dans la terre qui est au delà du dit jardin et sur le bord de la rivière, l'on nous fait observer que l'eau y a fait un dépôt de sable de la circonférence de huit toises quarré de la hauteur d'un pied ; de plus la dite demoiselle ROCHON nous a déclaré qu'il y avait, dans la dite terre, deux cent pieds de bois d' ouvrage pour les dits moulins et propres à faire des planches, dont une partie du carrissage de douze pouces et l'autre partie de huit pouces ensemble, dix cordes de bois de châtaigner pour charbon, tout quoy des dits experts estiment à la somme de quatre vingt dix livres : 90 livres |
Moulin Brisson appartenant à Joseph Marchadier meunier et le pont de bois Carte postale vers 1900 Source : CGC
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En plus la dite demoiselle ROCHON nous a déclaré qu'il y avait dans le lit de la rivière
et de son écluse un arbre rondy, de la longueur de trente pieds qui était destiné et préparer pour placer dans les dits
moulins, qui a été emporté, lequel arbre les experts estiment à la somme de cent vingt livres : 120 livres
De là la dite demoiselle ROCHON nous ayant conduit au moulin appelé Brisson appartenant à Joseph MARCHADIER, meunier, elle nous a fait observer et aux dits experts qu'outre le dommage réel qu' a éprouvé le dit moulin par le susdit débordement, c'est que le pont de bois qui était au delà de celui-ci et était entretenu autant par la dite demoiselle ROCHON que par le dit MARCHADIER meunier et le sieur TRAMOYSEAU par chacun un tiers, a été totalement emporté et les deux piles en carrelage et pierres de taille qui le supportaient ébranlées et décharnées et que le tout a besoin d'être remonté à neuf pour laquelle répartition les dits experts estiment qu'il en doit en coûter quinze cents livres ce qui forme pour le tiers dont la dite demoiselle ROCHON est tenu la somme de cinq cent livres : 500 livres. Enfin les dits experts nous ont fait observer que l'écluse et autres réparations nécessaires aux dits moulins on pouvait le faire qu'en saison convenable ; les dits moulins ne peuvent être en état de travailler comme auparavant que dans l'espace de six mois et que le chômage pour le dit temps et douze ouvriers que la dite demoiselle ROCHON est obligé de garder l'espace de six semaines suivant l'usage des fabricants à papier et une perte ou un retard pour la dite demoiselle ROCHON qu'ils estiment au moins à la somme de trois mille livres : 3000 livres. Dont et tout quoi, nous avons fait et dressé le présent procès verbal pour servir et valoir que de raison fait et passé en présence de sieur Léonard Codet et Bernard Chavaud Praticiens habitant au dit Saint Junien, témoins qui ont signé avec la dite demoiselle ROCHON et nous, les experts ont déclaré ne savoir signer de ce enquis. |
Signé : Chavaud, Suzanne Rochon vu (veuve) de Graterolle, Codet et Rouhet notaire royal Source : Arch.dép.Haute-Vienne
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(La somme totale des dégâts s'élève à 20 538 livres. Par comparaison, Pierre Claude Reynard
dans Histoire de papetiers, estime que le chiffre d'affaires d'un moulin auvergnat est compris entre 15 000 livres et 25.000 livres.
La somme des dégâts représente en gros un an de chiffre d'affaires des moulins Penicaud)
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